On m’a demandé ce matin quel est mon métier, et j’ai répondu kleenex. Je suis de ces hommes et de ces femmes, jetés, le cœur en lambeaux, à la porte de leur école, et que le vent automnal essaimera aux quatre coins de la ville pour masquer l’hémorragie.
De ces hommes et de ces femmes, qui, il y a peu encore, étaient heureux de représenter la République, et d’apporter jusque dans les quartiers défavorisés, un peu de savoir.
Du temps de mes grands- pères, pupilles de la nation, prisonniers de guerre, j’aurais marché la tête haute, fière d’être de la première génération de bacheliers que toute une famille avait porté à bout de bras, de la première génération à sortir les mains de la crasse. Du temps de mes pères, anciens combattants d’Algérie, j’aurais été de ces femmes libres, diplômées des prestigieuses universités, pour lesquelles toute une famille se serait financièrement sacrifiée.
De mon temps, on me demande quel est mon métier, et je réponds kleenex. Car la terrible nouvelle est tombée. Comme nombre de mes collègues, plus jeunes, plus âgés, fins pédagogues ou derniers des nuls, sans distinction, je serai sans poste à la rentrée.
Alors à quoi bon ? A quoi bon ce temps passé, rat de bibliothèque, à compiler les diplômes ? A quoi bon, ces heures passées et perdues pour un concours d’Etat dont l’Etat lui-même ne reconnaît plus la valeur ?
On connaît la chanson… L’IUFM, et ses incohérences. Puis, vaillants petits soldats, nous n’avons pas sourcillé quand, en dépit du bon sens, nous avons fait nos armes dans un de ces établissements honteux, au milieu des tours, où même les règles élémentaires de la survie n’aident pas à survivre. Nous avons cru, un instant, sortir la tête de l’eau quand, après plusieurs années de bons et loyaux services, nous avons osé prétendre à mieux.
Mais ce matin, j’ai appris la nouvelle : mon métier, c’est kleenex.