Bonjour à tous !
Le forum semble s'endormir ces temps-ci...une fois n'est pas coutume, c'est à mon tour de tenter de le réanimer.
Hier, il s'est passé deux évènement mémorables : le matin, j'ai soutenu mon mémoire professionnel, qui a reçu un très bon accueil; et hier soir (pour fêter ça !), je suis allée retrouver Gilbert à Traenheim, chez Mochel, une famille de vignerons bien sympathiques (tout autant que leurs vins d'ailleurs !). Grâce aux conseils avisés de notre oenologue et cycliste confirmé, j'ai pu apprécier une bonne quinzaine de vins différents, j'ose le dire, à leur juste valeur ( c'est à dire en ne me contentant pas, pour une fois, d'un "c'est pas dégueu" assorti d'une moue approximative de pseudo-connaisseuse qui ne trompe personne). Le bonheur.
Or donc, Gilbert, à qui j'avais envoyé mon mémoire il y a quelques semaines et qui avait eu la gentillesse de le corriger et de m'en donner son avis, m'a proposé d'en parler sur le forum éducation. Lequel? sachant que sur celui d' AOL je risque de recevoir plus d'insultes que d'encouragements, (chuis pas froussarde mais bon, je n'aime pas tendre le bâton pour me faire battre), je tente une première explication ici...j'ose espérer que cela pourra vous intéresser, le sujet ayant l' avantage de s'adapter à tous les niveaux de scolarité, et même avant, et même (espoir pour Malulu et consors?) après !
Le titre : Maitrise de la langue et culture : la médiation par l'oralité à travers les récits et produits de la tradition orale.
Cette année, dans le cadre de cours de remédiation pour les 6èmes en difficulté, j'ai choisi de travailler avec les récits que nous ont légué des millénaires d' histoire. En effet, les élèves que j'encadre présentent deux principaux problèmes : une pauvreté de langage désarmante (aussi bien à l'oral qu'à l'écrit ) et une culture qui, je le crains, se limite aux programmes télévisés ( tout ça est très shématique, la réalité est bien entendu beaucoup plus nuancée, mais m' adressant à vous qui êtes pour la plupart enseignants, je pense que vous cernez la public auquel j'ai affaire !).
Je me suis appuyée sur le livre de Christian Montelle, ancien professeur de Français, et dont la femme est conteuse : " la parole contre l' échec scolaire", éditions l' Harmattan. J'ai également lu les travaux de Christian Jacomino, d' Alain Bentolila ( dont je ne partage pas toutes les opinions ), et dans une moindre mesure, de Catherine Zarcate, conteuse elle aussi.
Dans son livre, Montelle apporte un élément de réponse à la question suivante : comment se fait-il que des générations d'enfants ont acquis un parler riche sans mettre les pieds à l' école ? pourquoi les enfants, il y a encore une soixantaine d' années, éprouvaient-ils moins de difficulté à apprendre à lire et à écrire, que ceux d'aujourd'hui ?
Réponse : autrefois, les enfants étaient élevés dans un " bain de parole": en effet, ils étaient considérés comme des adultes miniatures, on leur parlait donc rapidemment comme à des adultes; de plus, dans la plupart des familles, alors que les parents allaient travailler, les enfants étaient confiés aux grands parents, qui leur racontaient des histoires, leurs chantaient des chansons populaires, leur apprenaient des comptines; dans certains village, il y avait aussi les veillées, qui étaient encore l'occasion d'entendre des récits variés, en français comme en patois.
Les enfants étaient donc familiarisés dès leur plus jeune âge avec une langue riche ( ce que Montelle appelle "une haute langue oral" ), et ils disposaient déjà d'une bonne réserve de vocabulaire en arrivant à l' école. Dès lors, l'acte de lire ne posait plus tellement de problème, puisqu'ils étaient capables de poser des images sur les mots, et de contextualiser ces mots.
De plus, les récits étaient vecteurs de culture : les contes ont un rôle dans le développement psychologique de l' enfant; les mythes approtent des réponses symboliques aux questions qu'il se pose, et servent de référence commune aux sociétés; les légendes, attachées à un terroir particulier, jouent un rôle dans la construction de l'identité et la connaissance de l'endroit où l'on vit. Autant de repères indispensables, qui font souvent défaut aux enfants de nos jours.
Aujourd'hui, beaucoup d'enfants ne disposent plus de ce bain de paroles. On n'a plus le temps de raconter des récits aux enfants...c'est parfois plus simple de les mettre devant la télévision. Or celle ci ne leur offre pas la richesse de langage et de culture dont ils ont besoin pour se développer harmonieusement. Les contes, réédités et appauvris, ne portent plus les symboles qui " parlent" aux petits ou aux plus grands...
Il s'agit donc de redonner aux enfants ce qui a été perdu au cours des générations. Vaste programme, auquel j'ai tenté de m' attaquer cette année, à petite échelle, avec une douzaine d' élèves de sixième.
J'ai d'abord commencé par travailler la concentration et la parole, avec des petits jeux tout simples, les vire-langue ( "les chaussettes de l' archiduchesse..."). Les enfants on la "tchatchte", ils parlent vite, zappent d'une activité à l'autre : cet exercice leur permet de se concentrer sur un objet, la prononciation, et leur apprend à parler à un débit normal : il n'est pas nécessaire de parler vite, mais distinctement. On en a profité pour travailler la voix, la posture, etc...l' aspect ludique leur a beaucoup plut !
Puis, j'ai enchainé avec le conte. Un petit conte tout simple, " le grain de riz". Pas forcément un conte qui "dit quelque chose quelque part", mais un récit court, rythmé par une phrase servant de refrain, qui revient régulièrement, et une structure facile à s'approprier. Je le leur ai raconté une fois, puis ils ont donné leur avis, la parole était libre. Je l'ai raconté une deuxième fois, puis des volontaires ont souhaité tenter leur chance...ils avaient pour consigne de ne rien oublier, même s'ils avaient le droit d'ajouter des détail à loisir. Ils ont eu deux semaines pour se l' appropirer, avec pour consigne de ne surtout pas l' apprendre par coeur, mais de le laisser rentrer doucement dans leur têtes, avec les images qu'ils y associaient...réussite pour beaucoup d'entre eux ! difficultés pour certains, mais dans l'ensemble c'était encourageant, et surtout ils ont tous adoré !
A présent, j'en suis aux légendes; ça tombe bien, l' Alsace est une terre de légendes...elles sont nombreuses, et on en retrouve de fort bien transcrites, avec un vocabulaire riche et intéressant. Il faut lire et relire la légende aux élèves, leur expliquer la signification de certains mots, mais aussi le contexte d'utilisation de ces mots...bien entendu, j'en ai choisi une qui a trait à leur village, et cela les facine ! bientôt je compte leur en faire choisir à leur guise, une a chacun, afin qu'il se l' approprie et l'"offre" aux autres en la leur racontant...ça risque d'être un peu long, mais l'idée semble les intéresser. En fin d'année, nous feront une petite excursion dans les vignes, sur les traces d'une autre légende...ça leur parle, c'est eux, c'est leur identité. Je ne sais pas trop quels seront les résultats en fin d'année ( certains parents s'offusquent déjà que leurs enfants écoutent des contes au lieux de faire des exercices de grammaire !), mais j'ai bon espoir. Bien sûr, il faudrait que l' expérence soit poursuivie l'an prochain, dans l'idéal, à plus grande échelle, avec plus d'enseignants...
On peut adapter ce type d' activité à tous les niveaux et à tous les publics : c'est un excellent facteur d'ntégration dans les ZEP, par exemple. Il faut juste veiller à adapter le récit au niveau des élèves : certains contes conviennent aux touts petits, d'autres ( barbe-bleue par exemple ) ne devraient etre conté qu'à des adolescents. Les légendes intéressent beaucoup les pré ados et les ados, les mythes sont plutôt pour les grands adolescents.
J'avoue que c'est aussi très enrichissant pour le prof : j'ai "adopté" l' alsace en découvrant les récits qu'elle a généré ! je compte bien poursuivre l' expérience dans un autre établissement l' an prochain...j'ai encore beaucoup à apprendre !
des liens, pour terminer :
http://erasmus.blog.lemonde.fr/
http://legendi.wordpress.com/le-concept/
http://www.euroconte.org/Default.aspx?tabid=1
http://sd.alinea.free.fr/Documents/200105paris/rapport.htm
En espérant ne pas vous avoir endormis ( non, ceci n'était pas un conte à dormir debout ! )..."lâchez vos com' ! " comme diraient mes élèves !
Anne